La Gerbe : nouvelle primée, écrite en 2007 (extrait)
Christèle, 33 ans, sans enfants, célibataire, demandeur d’emploi.
Lundi 7 Mai 2007, lendemain de la grande mascarade. 8 h du mat’ et déjà le malaise la prend. Sur le quai du métro, vite, la musique. Pour s’isoler, penser à autre chose plutôt qu’à cet énième entretien.
« Quelles sont vos qualités et vos défauts ? Comment vous imaginez-vous dans ce poste ? Etes-vous véhiculée ? Quels sont vos diplômes ? Que pensez-vous de la hiérarchie ? Etes-vous hostile au nucléaire ? Etes-vous prête à vous investir totalement ? Quel est votre signe astrologique ? Etes-vous prête à passer des tests de QI ? Souffrez-vous d’hypertension, de diabète, de surpoids ? Etes-vous syndiquée ? Etes-vous prête à faire un effort sur les horaires de travail pour éviter la délocalisation ? Vous connaissez bien sûr, les difficultés que rencontrent nos entreprises sur le marché international. Nous devons rester compétitifs. Avez-vous des enfants ? Souhaitez-vous en avoir ? Croyez-vous aux valeurs familiales ? Etes-vous célibataire par choix ? ça vous dis de prendre un verre ? »
La gerbe. Le trop-plein. L’abrutissement forcé, forcené. Pas moyen de se débiner. Faut bouffer, payer son loyer, bientôt plus d’Assedic et le RMI qui pointe son nez. Le vilain nez de l’assisté. Rouge de vinasse forcément, au bord de la zone. Un parasite qui a le cul entre deux chaises avec son Réverbère invendable, tout froissé. Au moins y a de la place là-bas, elle pense Christèle, 33 ans, sans enfants, célibataire, demandeur d’emploi. Et merde, le baladeur qui lâche, adieu Nirvana bis, Kurt Copain mon poto. « T’en fait pas, mon pt’it loup / C’est la vie, ne pleure pas / T’oublieras, mon pt’it loup / Ne pleur’ pas ». Putain fait chier rien de mieux à fredonner ?! Qu’on me donne un flingue ça ira plus vite. Et puis non pas moyen. J’vais rester rien que pour vous emmerder. Elle fixe les voyageurs indifférents, espérant le contact télépathique qui la fera exister une minute. Mais qu’est-ce qui cloche bordel ?! Mon look ? Mon attitude ? Mon odeur ? Cette pochette à rabats cartonnée qui sent le CV à plein nez ?! « A 18 ans, j’ai quitté ma prooovinceuh / Bien décidée à empoigner la vie / Le cœur léger et le bagage miiinceuh / J’étais certaine de conquérir Paris » ! Bon. Encore pire. Les larmes derrière les yeux. Se détourner, vite, penser à autre chose. Où sont passées les pensées agréables ? Panique : elle ne sait plus voler.
26/06/2007